Ces jours-ci, lecture du Godard,
la biographie écrite par Antoine de Baecque et parue l'année dernière (Grasset,
935 p., 25 €).

Même si parfois on peut ne pas être d'accord avec certaines appréciations du
biographe, c'est un livre passionnant, un travail extrêmement fouillé et une
mise en perspective de la vie, tourmentée, et du travail, acharné et permanent,
de
Jean-Luc Godard
qui ne cesse pas d'explorer depuis 1954 ce qu'on appelle le "Cinéma".
Un million d'informations sur Godard, ses choix techniques, ses occupations
privées, notamment ses voyages fréquents et souvent solitaires, les femmes
qu'il a aimées (d'Anna Karina et Anne Wiazemsky jusqu'à Anne-Marie Miéville,
sans oublier Myriem Roussel et Bérangère Allaux), sa façon de trouver et
dépenser l'argent, ses lieux de vie (Paris, Grenoble, Rolle), ses dépressions,
sa joie de vivre, son côté clown, ses rapports complexes avec ses collègues
cinéastes, sa façon de diriger les acteurs, son foisonnement de projets
successifs et parfois abandonnés.
J'admire depuis toujours le travail cinématographique de Godard, depuis
À bout de souffle jusqu'à Film Socialisme, en passant par
Le Mépris, Pierrot Le Fou, Prénom Carmen, ou Éloge de
l'amour. Je vous salue Marie est de tous ses films mon préféré,
pour de nombreuses raisons sur lesquelles il faudra que je revienne en détail
un jour. Quant aux Histoire(s) du cinéma, elles forment un système
théorique puissant et mon rêve le plus fou serait de parvenir à commencer à en
écrire le début d'un pendant littéraire, des Histoire(s) de la
littérature appuyées sur un montage de citations.
Extraits :
"[Truffaut : ] Le miracle du film [À bout de souffle], c'est qu'il
a été fait à un moment de la vie d'un homme où, normalement, il ne fait pas de
film. On ne fait pas de film dans le dénuement, dans la tristesse." (...)
"L'essentiel pour un cinéaste, confiera-t-il, c'est de s'entraîner,
comme un joueur de tennis (...). Ce qui faisait la force des cinéastes
d'Hollywood, c'est qu'ils tournaient tout le temps, même des bouts d'essai,
pour garder la forme." (...)
"[à propos de sa société Sonimage, installée à son domicile] Godard
parle quant à lui d'un 'atelier qui permette de travailler un peu comme un
romancier' : 'Un romancier qui a besoin d'avoir à la fois une bibliothèque pour
savoir ce qui s'est fait, pour accueillir d'autres livres, pour ne pas lire que
ses propres livres; et en même temps, une bibliothèque qui serait aussi une
imprimerie. Pour moi cet atelier, c'est un studio de cinéma qui est en même
temps un bibliothèque et une imprimerie'." (...)
"Jean-Luc Godard a toujours un projet en cours. C'est une des
caractéristiques du cinéaste quelles que soient les époques : il ne sait pas
vivre sans, acceptant les commandes, suscitant les films, provoquant des
rencontres, invitant des personnes qui l'intéressent, n'hésitant pas à voyager,
à ses frais, quand une idée lui vient à l'esprit" (...)
"[Alain Bergala : ] On attendait. [...] Il me disait souvent : 'Ce n'est
pas grave, on est payés au mois' ." (...)
"[Pendant la préparation de King Lear] Il disait sans cesse :
'Je suis libre de faire le film que je veux, mais je ne sais pas ce que je
veux'."
NB : Les plus récentes interviews de Godard sont le long entretien vidéo
donné à Mediapart en mai
2010 et l'entretien avec Laure Adler sur
France-Culture en septembre dernier.